Le portrait de Me Marie-Pierre de Montmollin
"Mes différents engagements me nourrissent ; me donnent de l’énergie et la possibilité de prendre du recul vis-à-vis de mon travail de juge."
Marie-Pierre de Montmollin, juge cantonale à Neuchâtel, nous parle de ses différents engagements et partage avec nous pourquoi elle aime se lancer dans une nouvelle aventure ou un nouveau défi.
Chère Marie-Pierre, vous êtes juge cantonale à Neuchâtel ; pourquoi avez-vous choisi d’étudier le droit et comment avez-vous réalisé que vous vouliez travailler dans la magistrature ?
Pendant le gymnase, je me suis surtout intéressée à la littérature et à l’histoire. Au moment de choisir un domaine d’études, j’ai voulu opter pour une nouvelle discipline. Pour moi, le droit était une matière inédite et une clé de compréhension de la société. J’ai choisi ces études sans avoir une image précise de ce qui m’attendait pendant ou même après ma vie estudiantine.
L’idée de m’engager dans la voie judiciaire m’est venue au cours d’un stage dans un tribunal de première instance, dans le cadre de ma formation d’avocate. J’ai eu le sentiment d’être au cœur des choses, à la fois témoin et actrice de la vie de la cité.
Vous avez décidé de passer le brevet d’avocat. Est-ce une chose que vous conseilleriez aux jeunes juristes qui envisagent une future carrière dans la magistrature ?
À l’époque où j’ai terminé l’université, l’idée régnait qu’un stage d’avocat était indispensable pour parachever les études académiques. J’étais trop peu sûre de moi et timide pour m’imaginer plaider devant un tribunal, mais suffisamment volontaire et ambitieuse pour ne pas me contenter d’une formation éventuellement inaboutie. J’ai donc cherché et trouvé une place de stage. Cela dit, selon moi, le stage d’avocat est une excellente formation pour les futurs juges. Même si, au début de ma carrière j’étais d’avis qu’il faudrait en Suisse une école de la magistrature, comme il en existe dans certains pays, je suis aujourd’hui d’avis qu’il est nécessaire (entre autres qualités) pour un bon juge d’avoir rencontré et écouté des justiciables hors d’une salle d’audience, d’avoir monté un dossier, défendu celui-ci devant un tribunal, puis reçu et expliqué des décisions de justice.
Vous avez travaillé pendant plus de 10 ans comme greffière, dont une longue période au Tribunal fédéral. Quelles sont les plus grandes différences entre les tâches des juges et celles des greffiers et greffières ?
Le juge dirige l’audience et porte le poids de la décision. Le cahier des charges du greffier peut varier fortement selon les instances et les cantons. En ce qui me concerne, comme greffière d’abord au Tribunal cantonal neuchâtelois puis au Tribunal fédéral, j’avais avant tout, sous la responsabilité d’un juge, des tâches d’analyse de dossiers, de recherches juridiques et de rédaction. Les interactions sociales étaient assez limitées. Dans ma fonction actuelle de juge, je préside plusieurs fois par mois des audiences, j’assiste à des séances de commissions à l’interne ou à l’externe, je participe à la circulation des dossiers, je suis en étroite relation avec le personnel administratif, etc. Comme membre d’un collège, je suis amenée à des échanges de vues continuels avec mes collègues des différentes cours auxquelles j’appartiens. Néanmoins, l’étude et de dossiers, avec bien entendu la recherche juridique, continuent à former la majeure partie de mon quotidien de magistrate. Il faut aussi relever l’importance accordée au travail de rédaction des décisions, vu le nombre restreint de greffiers juristes dont dispose le pouvoir judiciaire neuchâtelois.
Pendant six ans, vous avez présidé la Commission administrative des autorités judiciaires du canton de Neuchâtel. Quels défis vous ont alors attendue ?
Cette prise de fonction a coïncidé avec l’entrée en vigueur des codes de procédure fédéraux, en 2011, ainsi qu’une révision de l’organisation judiciaire neuchâteloise, assurant notamment plus d’autonomie aux tribunaux. C’est dire que les défis étaient multiples. La Commission est l’organe de représentation, de gestion et d’administration du pouvoir judiciaire. Mes collègues et moi avons dû apprendre à discuter avec les deux autres pouvoirs, préparer et défendre le budget et les comptes devant le Grand conseil, installer des indicateurs de performance, gérer le personnel, émettre des directives, rencontrer la presse, etc. Nous avons accompagné les changements à l’interne et les avons défendus vers l’extérieur.
Vous êtes présentement non seulement présidente de la Cour pénale mais également juge à la Cour civile, à l’Autorité de recours en matière civile et à la Cour de mesures de protection des enfants et des adultes. Comment faites-vous pour rester à jour sur tous ces sujets ?
Il n’est pas rare au niveau cantonal d’être simultanément membre de plusieurs cours. Cela offre, sur le plan systémique, une vue d’ensemble sur différents domaines de compétence de la juridiction, dans une perspective d’unification des pratiques et de la jurisprudence. J’aime également à dire que je ne m’occupe pas uniquement de dossiers émotionnellement lourds. La polyvalence permet également de se suppléer plus efficacement en cas de besoin. Cela dit, le débat entre tenants de la spécialisation et partisans des généralistes reste toutefois vif. La spécialisation amène un gain de temps évident. Dans mon canton, en deuxième instance, nous n’avons quoi qu’il en soit pas la taille critique nécessaire pour une vraie spécialisation en matière civile ou pénale. Chacun doit siéger dans plusieurs cours ; cela présente peut-être aussi l’avantage de pouvoir répartir la charge totale de travail de façon équivalente entre les membres du tribunal.
Depuis 2014, vous êtes également juge de liaison pour la Suisse à la Conférence de la Haye de droit international privé, dans le cadre des conventions pour la protection des enfants et les enlèvements internationaux d’enfants. En quoi consistent vos tâches ?
Le rôle des membres du Réseau international de juges de La Haye est de faire le lien entre leurs collègues au niveau national et les membres du Réseau au niveau international. Nous exerçons essentiellement deux fonctions de communication : la première est d’ordre global, non directement liée à une affaire précise. Elle consiste à relayer les informations générales entre le Réseau ou le Bureau permanent et les collègues de notre État d’origine, parfois en collaboration avec l’Autorité centrale, pour la Suisse l’Office fédéral de la Justice, et vice versa.
La seconde fonction consiste en l’établissement de communications directes entre des juges de différents pays membres du Réseau, concernant des dossiers spécifiques ; l’objectif de ces communications peut être par exemple de donner des informations à un juge suisse saisi d’une demande de retour sur l’existence ou non d’une procédure à l’étranger, ou encore, pour un juge étranger, de lui indiquer si des décisions miroirs sont envisageables en Suisse.
Ces communications permettent souvent de gagner beaucoup de temps et de mieux utiliser les ressources disponibles, le tout dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
A ces fins, je participe à des conférences internationales pour nouer des contacts personnels avec des collègues étrangers (la confiance réciproque est primordiale, sachant que les systèmes judiciaires peuvent être fondamentalement différents) et échanger des expériences pratiques avec eux.
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans votre travail pour la Commission d’examen du barreau du canton de Neuchâtel et la Commission de contrôle psychiatrique du même canton ?
Ces deux tâches – en soi très différentes – ont en commun de donner l’occasion à des discussions pluridisciplinaires. On appréhende certaines difficultés sous un angle nouveau. J’apprends à voir et comprendre d’autres perspectives.
En ce qui concerne la Commission d’examen du barreau, composée de juges, d’avocats et de professeurs d’université, il s’agit de savoir quelles sont les compétences professionnelles attendues des avocats – les exigences sont élevées –, et de vérifier si les candidats en disposent, en assurant l’équité dans l’appréciation des résultats. L’organisation des sessions, le choix des thèmes et la correction des écrits peuvent être assez prenants, d’autant plus que le taux d’échecs est relativement haut. Personnellement, l’examen d’avocat constitue l’épreuve la plus difficile que j’ai été amenée à passer durant ma formation, et j’essaye de faire en sorte qu’il se déroule de la manière la plus sereine et la plus juste possible pour les candidats.
Mon action pour la Commission de contrôle psychiatrique du canton de Neuchâtel est tout à fait autre. Le but de la Commission, composée du médecin cantonal, d’un juge et d’un représentant des patients, est de veiller au respect des droits des patients hospitalisés en institutions psychiatriques, de surveiller le respect des procédures de placement et d’examiner les plaintes liées aux droits des patients hospitalisés en milieu psychiatrique. La Commission procède à des visites annoncées et inopinées du Centre neuchâtelois de psychiatrie, normalement huit à dix fois par an. Elle permet des contacts directs et assez informels avec les malades ou le personnel soignant.
Vous êtes également membre du comité de la Société suisse de droit pénal, de celui de l’Association suisse des magistrats, du comité directeur de la Fondation pour la formation continue des juges suisses et présidente (jusqu’au 30 septembre 2021) de la section suisse du GEMME (Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation). Comment arrivez-vous à jongler avec tous vos engagements ?
Ces différents engagements, d’importance très inégale en terme d’investissement en temps, me nourrissent et me donnent de l’énergie ; c’est, encore une fois, la possibilité de rencontrer des collègues d’autres cantons ou pays, de prendre du recul vis-à-vis du travail quotidien, de réfléchir au rôle du juge, au contexte dans lequel il s’inscrit et d’apporter ma contribution au développement d’un appareil judiciaire indépendant et performant.
En tant que jeune fille et jeune femme vous étiez de nature plutôt timide. Qu’est-ce qui a dû changer pour que vous preniez votre place à part entière ?
À un certain moment, je n’avais plus le choix : il fallait incarner la fonction. On apprend avec le temps. Je dois dire que j’ai été soutenue par des personnes bienveillantes et loyales. La reconnaissance institutionnelle donne de la force et de la légitimité. Cela dit, j’ai parfois encore un solide trac avant de prendre la parole en public, selon les circonstances.
Vous observez que beaucoup de jeunes femmes postulent plutôt pour des postes de greffières alors que de jeunes hommes au profil similaire briguent directement des postes de juges. Comment expliquez-vous cette différen ?
Naturellement, il s’agit de généralités et il existe des exceptions. Les femmes ont sans doute moins confiance en elles-mêmes et par conséquent du mal à s’imaginer être capables de relever certains défis. Elles ont pour certaines d’entre elles besoin de prendre leurs appuis avant d’oser s’élancer.
En outre, les femmes en âge d’avoir un enfant sont plus nombreuses que les hommes du même âge à vouloir occuper un poste à temps partiel. Or il y a moins des charges à temps partiel de juge que de greffier. En outre, les fonctions de juge impliquent souvent des horaires variables et des heures supplémentaires qui peuvent être perçues comme un obstacle à une organisation familiale traditionnelle (si c’est cela que l’on souhaite).
Avez-vous déjà ressenti que l’on vous traite différemment en tant que femme que vos collègues de sexe masculin ?
En tant qu’élève et étudiante, je n’ai jamais ressenti que l’on m’ait traitée différemment. Cela ne s’est manifesté que dans la vie professionnelle. Par exemple, quand je cherchais un emploi après l’obtention de mon brevet d’avocate, et me renseignais téléphoniquement au sujet d’une offre d’emploi parue dans la presse, on m’a une fois répondu que l’on ne souhaitait de toute façon pas engager une femme dans la trentaine.
Comme juge, juste après ma prise de fonction au Tribunal cantonal, il est arrivé une fois ou l’autre qu’on me prenne pour une secrétaire ou greffière accompagnant des collègues masculins. À vrai dire, j’en ai plutôt rigolé. Les gens sont très gênés quand ils se rendent compte d’une telle méprise (surtout si la victime de la méprise en question a le pouvoir de rendre une décision qui les concerne). C’était plus dérangeant d’être traitée comme une « gentille dame » lors des discussions politiques entourant la réforme des autorités judiciaires, et l’autonomie accrue que celles-ci réclamaient face au Conseil d’Etat. J’ai donc dû apprendre à utiliser quelques outils de communication.
Vous avez dû apprendre à gérer vos réactions dans de telles situations et également lorsque l’on vous a prise moins au sérieux en raison de votre sexe. Quels conseils avez-vous à cet égard pour de jeunes juristes ?
Je conseille vivement de suivre des ateliers ou des cours. Il existe plusieurs types de formation, selon les besoins (communication ; plafond de verre ; marketing de soi). Je me rappelle en particulier de deux formations données par une coach bâloise très drôle enseignant (aux femmes) comment se comporter dans un environnement de communication suivant les règles masculines. J’ai utilisé certains principes très simples qui m’ont beaucoup aidée et dont je me rappelle encore quelques-uns : par exemple de ne jamais s’asseoir, lors d’une réunion, en face de la personne qui préside, sauf si l’on cherche la confrontation ou toujours prendre la parole en s’adressant à la personne qui dispose du pouvoir de décision (et non la gentille dame sympathique avec un sourire encourageant).
Vous êtes quelqu’un qui dit facilement oui si l’on vous demande votre expertise ou votre engagement. Quels sont les avantages d’une telle attitude ?
Je crois qu’on doit sans cesse continuer d’apprendre, et rendre ce qu’on a reçu. À ce stade de ma carrière, comme d’autres collègues, je suis régulièrement sollicitée pour participer à des associations, commissions ou groupes de travail. Si l’emploi du temps lié à ma charge de base (rendre des décisions de justice) me le permet, je suis honorée et heureuse de répondre favorablement. Selon mon expérience, le jeu en a toujours valu la chandelle.
Quelle juriste vous a-t-elle inspirée au point d'être nominée pour breaking.through, et pourquoi ?
Je n’ai jamais eu de modèle particulier de femme durant ma carrière ou comme mentor. Il va de soi que des personnalités telles Ruth Bader-Ginsburg ou Gisèle Halimi m’impressionnent ; cependant, si je dois vous nommer quelqu’un qui pourrait être interviewée pour breaking.through, je pense à Christiane Taubira, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux en France de 2012 à 2016.
Nous vous remercions pour l’entretien et pour le temps que vous y avez consacré !
Neuchâtel, 10 août 2021. L’entretien a été réalisé par Me Audrey Canova.
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